De l’horrible danger de l’ironie
Je m’explique,
profitant d’une absence fortuite de ma part, et jouant de l’obscurité complice,
ma colloc’, que nous appellerons S. pour préserver son anonymat, a installé ces
spécimens du bon goût et des arts décoratifs aux murs de la cuisine. Rentrant
ensemble de la soirée, elle me présente naturellement son chef-d’œuvre. Et là,
choc. *musique dramatique*
« Oh, mais on
peut aussi leur trouver une autre place, si ça te plaît pas, c’est vrai que ça
fait beaucoup de rouge… ». Bon, et là, drame.*Re-musique, re-dramatique*.
Oubliant tous ces mois passés en Allemagne, à m’intégrer pas à pas, à décortiquer
l’implicite culturel, je répond, avec l’innocence teintée d’ironie qui me
caractérise et dont on affirme qu’elle serait typiquement française :
« Oh, oui, par exemple au plafond, c’est dommage tout cet espace
inutilisé ». (Les lecteurs assidus auront noté qu’il s’agit d’une citation
d’un des plus grands auteurs contemporains. Un coquelicot à qui me citera le
titre de l’ouvrage.)
Normalement ça clôt
la discussion, la personne ainsi interpellée et blessée dans son amour-propre
d’artiste va se coucher et méditer à la condition de l’homme (en l’occurrence
de la femme) de l’art dans notre société industrialisée. Accessoirement ce
n’eût pas été de refus, la journée et la soirée avaient été longues.
Réponse
enthousiasmée : « Super idée, j’y avais pas pensé, t’es pas
fatigué ? On s’y met tout de suite ! ». *Une minute de silence
par respect pour la victime, c'est-à-dire votre serviteur*
Le lendemain matin,
St. (l’autre colloc’) trouvera, à son grand étonnement, 3 coquelicots et autant
de tiges sur le sol de la cuisine. Le double face n’est visiblement pas prévu
pour les plafonds…
S. m’a haï pendant
au moins 2 minutes quand je lui ai expliqué que mon idée n’était pas à prendre au
sérieux, que c’était de l’ironie. Oui, de la dérision, une manière détournée de
dire que plus ils étaient loin de ma vue, mieux c’était. Mais j’ai fait amende
honorable, on a profité de l’après-midi pluvieux pour accrocher des photos aux
murs. Et en toute modestie, je suis assez content de moi, il s’agit en effet
majoritairement d’œuvres issues de ma production personnelle, exprimant mon moi
profond d’artiste, les trépidations d’une crêpes bretonne ainsi qu’une
dénonciation de la condition du gouda à Bruxelles. *Mode ironie - Off*.
La conclusion, c’est
que tant que vous pouvez, évitez l’ironie en allemand : dans le meilleur
des cas, on vous regarde avec de grands yeux, et dans le pire, vous vous
retrouvez à coller des coquelicots au plafond au milieu de la nuit.
Et comme ma petite, mais plus si petite, enfin bref c'est pas le sujet, soeur (n°2 pour les intimes) m'a trouvé un bel article sur l'humour allemand vu par The Guardian, je m'en vais vous en faire une adaptation de derrière les fagots. Je ne vous dit que ça...